Le domaine Économie et Services, formé par sept hautes écoles présentes dans six cantons, mène des recherches dans une large palette de thématiques : management, entrepreneuriat, gestion de l’innovation, transformation numérique, durabilité ou encore hôtellerie, pour n’en citer que quelques-unes. Totalisant plus de 7000 étudiant·es, il fait partie de la HES-SO depuis 1998.


HE-ARC Gestion

Vendre une espèce protégée en quelques clics

En 2022, la Suisse a serré la vis en matière de commerce d’espèces protégées. Les nouvelles mesures sont-elles respectées ? Une équipe de la HE-Arc Gestion (HEG Arc) – HES-SO a mené l’enquête, avec des résultats sans équivoque.

Le commerce illégal d’espèces protégées constitue le quatrième plus important commerce illégal mondial, après les drogues illicites, la traite d’êtres humains et le commerce des armes. Son coût annuel pour l’économie mondiale est estimé à quelque 200 milliards de dollars. « Le problème de la criminalité environnementale, c’est qu’elle ne fait pas de victimes directes, donc qu’elle n’entraîne que rarement des plaintes », constate Olivier Beaudet-Labrecque, doyen de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la HEG Arc à Neuchâtel. Or, des victimes, il y en a bel et bien. « Ce sont la planète, la société en général. » Entrée en vigueur en 1975 – et ratifiée la même année par la Suisse –, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) a pour but de protéger d’un commerce excessif les espèces animales et végétales. En 2022, notre pays a décidé de serrer la vis à travers une nouvelle législation qui impose aux vendeuses et vendeurs d’espèces protégées des obligations d’informer étendues. Toute annonce de vente publique, par exemple sur internet, doit ainsi mentionner les données de contact du vendeur, le nom scientifique des spécimens, ainsi que des indications précises concernant leur origine ; elle doit aussi spécifier l’annexe Cites concernée. Ces nouvelles normes sont-elles respectées ? Et sont-elles efficaces ? Pour répondre à ces questions, l’ILCE a conduit une étude inédite en collaboration avec l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Concrètement, l’équipe de recherche a réalisé durant huit semaines une veille informatique sur trois plateformes en ligne communément utilisées en terre helvétique, à savoir Anibis.ch, Petitesannonces. ch et Tutti.ch. Les nouvelles annonces concernant trois types de reptiles inscrits à Cites – les tortues terrestres, les boas et les pythons – ont été répertoriées dans une base de données selon un protocole standardisé. Les résultats sont sans appel. « Parmi les 543 annonces recensées, pas une seule n’était conforme à la législation suisse en la matière », rapporte la collaboratrice de l’ILCE Cristina Cretu-Adatte, qui a participé au projet. Alors que plus de la moitié d’entre elles ne comportaient pas les données de contact du vendeur, deux tiers n’indiquaient pas le nom de l’espèce de façon rigoureuse et trois quarts n’apportaient aucun renseignement sur l’origine du reptile. Par ailleurs, aucune des annonces ne spécifiait l’annexe Cites concernée. À noter encore que dix des ventes proposées concernaient carrément des espèces dont le commerce est interdit.

Plus facile qu’un chat ou qu’un chien Ces manquements sont-ils intentionnels ou non ?

Difficile de le savoir, selon les deux membres de l’ILCE. « Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un manque cruel d’information sur le sujet, que ce soit du côté des vendeurs, des acheteurs ou des plateformes elles-mêmes », relève Cristina Cretu-Adatte. Combler cette lacune à travers des opérations ciblées d’information et de sensibilisation est l’une des mesures proposées par les auteur·es de l’étude. Par ailleurs, une prévention technique et logistique simple est recommandée. « Il suffirait de créer sur ces plateformes des formulaires plus restrictifs, que devraient utiliser les vendeurs lors de la création de leur annonce, comme c’est déjà le cas pour d’autres catégories d’animaux », souligne Olivier Beaudet-Labrecque. Le doyen de l’ILCE constate, non sans ironie, qu’il est actuellement « presque plus compliqué de vendre un chien ou un chat sur internet qu’un animal protégé ».


EHL Hospitality Business School

L’émergence d’un tourisme lié aux brasseries locales

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NICOLAS RIGHETTI | LUNDI13

Chaque année, la Suisse accueille plus de 100 festivals et excursions pédestres consacrés à la bière. En 2018, le pays comptait 1062 brasseries, dont 600 créées durant les trois années précédentes. Avec la croissance exponentielle de l’industrie de la bière en Suisse, une forme spécifique de tourisme lié à ce breuvage a émergé. Margarita Cruz, professeure assistante à l’EHL – Hospitality Business School – HES-SO à Lausanne, a consacré plusieurs études à l’explosion de la production de bière locale en terre helvétique. Actuellement, la chercheure participe à un projet soutenu par le FNS intitulé How audience heterogeneity impacts the fate of organizations : the case of the beer boom and the development of the beer industry in Switzerland. Elle explique que par « tourisme de la bière », on entend la mise en avant d’une culture locale à travers le prisme de la bière et de sa production. Certains pays comme l’Allemagne (et ses Biergärten bavarois) ou la Belgique (et ses brasseries monastiques) ont une longue expérience dans ce domaine. La Suisse fait désormais de même, mais avec une approche différente : au lieu de miser sur une tradition de la bière ancestrale, l’idée est de valoriser l’émergence de brasseries contemporaines.


Haute école de gestion Fribourg

« Il faudrait se réjouir d’aller travailler »

Alors que la notion de « sens au travail » est sur toutes les lèvres, le stress ne cesse d’augmenter dans les entreprises. Responsable de l’Institut Innovation sociale et publique de la Haute école de gestion Fribourg – HEG-FR – HES-SO, Mathias Rossi mène des recherches sur la satisfaction au travail.

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PHOTO : BERTRAND REY

D’où vient votre intérêt pour les conditions de travail ?
Nous passons une part non négligeable de notre temps à travailler et le travail a un impact important : santé, relations, etc. Mon souhait serait que l’on puisse passer de l’injonction « Il faut bien travailler ! » à l’exclamation « Je me réjouis d’aller travailler ! »

Les choses évoluent-elles dans cette direction ?
On n’est plus à l’ère de la division du travail. Néanmoins, les études mettent le doigt sur une augmentation flagrante du stress et de la solitude. Les incertitudes grimpent, notamment en lien avec le travail sur appel. On se trouve dans une situation paradoxale : d’un côté, le « sens au travail » est sur toutes les lèvres mais dans la réalité, on met les salariés sous une pression croissante.

Quels sont les générateurs de satisfaction ?
Je citerais l’intégration de l’individu dans un collectif, la reconnaissance, le traitement équitable ou encore l’impression de pouvoir contribuer à l’objectif de l’organisation. Sans oublier le fait d’avoir une certaine autonomie et d’être en mesure d’utiliser ses compétences. Pour résumer : tout cela crée un sentiment d’engagement. Et s’il n’y a pas ou plus ce sentiment d’engagement, la collaboratrice ou le collaborateur réfléchira à un changement de poste.


Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud

« J’aime à la fois l’humain et l’innovation technologique »

HEMISPHERES-N°25 Vivre avec les instabilités // www.revuehemispheres.ch
PHOTO : BERTRAND REY

C’est sa passion pour le judo, qu’elle a pratiqué à haut niveau, qui a amené Justine Dima à la recherche. Tout comme cette dernière, « le sport de compétition est intimement lié au dépassement de soi, au recours à l’innovation ». La technologie a toujours intéressé cette spécialiste de la digitalisation RH. « J’aime à la fois l’humain et l’innovation technologique ; pourquoi faudrait-il choisir entre les deux ? » lâche-t-elle. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’oeil au CV de la professeure à la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud – HEIG-VD – HES-SO pour s’en convaincre : le fil rouge de son parcours académique et professionnel est l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur l’humain. « En positif ou en négatif », précise-t-elle. Interrogée sur les projets de recherche qui l’ont, à ce stade, le plus marquée, Justine Dima en cite deux. « Dans le cadre de ma thèse, j’ai eu la chance d’aller observer la manière dont les employé ·es (de la fonction support) de l’Agence spatiale canadienne perçoivent l’utilisation de l’IA dans leur métier. » Auparavant, elle a eu l’occasion de se pencher sur la question de la santé au travail, et plus précisément sur le technostress, à savoir « le stress généré par l’utilisation des nouvelles technologies dans le contexte professionnel ». À ce sujet, la chercheure relève qu’elle ne « partage pas la vision de celles et ceux qui estiment que la digitalisation du monde du travail va s’atténuer ». À l’inverse, « ce mouvement va prendre de l’ampleur ». Dès lors, plutôt que de subir la numérisation, « autant en tirer profit » !


Haute école de gestion de Genève

Déterminer la qualité du paysage à travers le marché immobilier

Il y a une quinzaine d’années, une équipe de la Haute école de gestion de Genève (HEG-Genève) – HES-SO a montré l’impact sur les loyers de facteurs tels que la vue ou le bruit. Depuis, les résultats et la méthodologie des chercheur·es ont fait des émules.

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Les facteurs environnementaux comme le bruit impactent le prix d’un bien immobilier. Ici, une maison sous une autoroute à Zurich, que le photographe allemand Jörn Vanhöfen a captée dans sa série Aftermath (2004-2011), qui documente les conséquences d’une croissance sans limites. | JÖRN VANHÖFEN, COURTESY GALERIE KUCKEI+KUCKEI, BERLIN

Les deux appartements sont situés dans le même quartier, font la même taille, ont été construits à la même époque et disposent du même niveau de confort. Pourtant, chaque mois, les habitant·es du second doivent débourser plus que ceux du premier. Sont-ils confrontés à un exemple crasse de loyer abusif ? Pas forcément. Suite à une étude menée entre 2005 et 2008, qui s’inscrivait dans le PNR 54 du FNS, des chercheur·es de la HEG-Genève et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne ont constaté que l’exposition au bruit du logement, le type de vue dont il jouit, mais aussi certaines caractéristiques sociales – dont la composition du voisinage – ont un impact sur le loyer. Pour ce faire, l’équipe a utilisé une méthode d’évaluation des biens immobiliers qui décompose le loyer pour déterminer l’impact sur ce dernier de toutes les valeurs qui peuvent l’influencer. « À l’époque, les données géoréférencées n’étaient pas facilement accessibles. Nous avons dû mettre au point un protocole relativement expérimental et faire tourner notre logiciel durant des jours et des jours », rapporte la maître d’enseignement à la HEG-Genève Caroline Schaerer.

Novatrice il y a quinze ans, la méthode est désormais communément utilisée. Quant aux résultats de l’équipe, ils ont fait l’objet de nombreuses publications académiques, ouvrant la voie à plusieurs autres projets. « Dans le cadre des propositions de révision du droit du bail au niveau national, l’Office fédéral du logement s’est intéressé à notre modèle, qui aurait permis de déterminer si un loyer est abusif ou non. » Les évaluations de l’impact du bruit en termes économiques ont été utilisées par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) pour calculer les coûts externes du trafic routier et ont été intégrées dans les politiques environnementales. Plus récemment, l’OFEV « nous a mandatés afin de réaliser une étude sur les méthodes d’évaluation de la valeur économique du paysage ». Passer par le marché immobilier pour déterminer la qualité du paysage, vraiment ? « C’est une méthode parmi d’autres, car il n’existe en soi pas de critères objectifs pour y parvenir. » À l’heure où la question du 30 km/h en ville ainsi que celle du bruit des autoroutes et des aéroports font couler beaucoup d’encre, les résultats de l’équipe semblent plus actuels que jamais.


HES-SO Valais-Wallis – Haute École de Gestion

Les arrangements du patrimoine suisse avec l’Histoire

Depuis ses débuts vers la fin du XVIIIe siècle, à nos jours, le tourisme helvétique exploite l’image d’un pays alpin et traditionnel. L’authenticité montagnarde, le yodel ou le fromage d’alpage font partie des clichés les plus couramment utilisés. Or, cette Suisse de carte postale relève partiellement d’une construction sociale contemporaine, qui a par ailleurs façonné la manière dont certain·es Suisse·sses se perçoivent encore actuellement, constate Rafael Matos-Wasem, intervenant externe à la HES-SO Valais-Wallis – Haute École de Gestion – HEG et coauteur avec Ariane Devanthéry en 2015 de l’étude Une Suisse à voir et à vivre. Patrimoine culturel immatériel et tourisme en Suisse, jadis et aujourd’hui. Ainsi, certaines traditions mises en avant dans le pays, comme le cor des Alpes, remontent à un passé tellement lointain qu’il est difficile de les reconstruire avec précision. On parle alors d’anhistorisme, c’est-à-dire d’une perspective qui ne tient que peu compte du contexte historique. Phénomène intéressant : alors qu’aujourd’hui, environ trois quarts des habitant·es du pays vivent dans des agglomérations urbaines, les traditions mises en avant dans les brochures touristiques se déroulent la plupart du temps loin des villes.